Qu’est-ce qui nous redonne espoir quand les temps sont durs ? La réponse à cette question est différente pour chacun de nous. Pour l’un, c’est le soutien de sa famille et de ses amis ; pour l’autre, c’est la foi. Que ce soit en Dieu, en un avenir prometteur ou dans le sens de la vie. Les grands compositeurs d’hier et d’aujourd’hui ont eux aussi été confrontés à leur lot de revers, des moments sombres de leur vie qu’ils ont abordés dans quantité d’œuvres musicales. Les compositions au programme du Brussels Philharmonic et du Vlaams Radiokoor sont des exemples poignants. But Fate now conquers de Carlos Simon s’inspire ainsi de la foi presque philosophique de Beethoven dans la musique, tandis que l’espoir de la foi religieuse résonne dans la musique instrumentale et vocale de Gustav Mahler et Felix Mendelssohn.
En 1815, Ludwig van Beethoven inscrit des mots héroïques dans son journal. Tirée de la célèbre œuvre d’Homère, cette citation témoigne de la façon dont Beethoven fait face à sa surdité, le plus grand revers de sa vie. En 2020, ces mots inspirent au compositeur américain Carlos Simon l’œuvre orchestrale But Fate now conquers. La référence de Beethoven à Homère n’a rien d’un hasard. La composition était devenue le sens de sa vie. En 1815, alors qu’il était presque complètement sourd, sa passion pour la composition évoque les missions et actions surnaturelles des grands héros des récits d’Homère. Dans ses lettres à ses proches, il cite souvent le philosophe Emmanuel Kant : la composition est devenue pour lui un « impératif catégorique », qui lui donne la force de tenir. L’art lui permet d’atteindre de « plus hauts degrés de perfection » dans sa vie. Ce qui explique sa volonté permanente d’améliorer et de renouveler sa musique.
L’œuvre orchestrale en un mouvement But Fate now conquers de Carlos Simon comprend de nombreuses références à la musique de Beethoven. Ainsi, les harmonies et modulations doivent beaucoup au deuxième mouvement de la Septième Symphonie, op. 92 de son illustre prédécesseur. La musique néoromantique, parfois inspirée par le jazz, de Carlos Simon reflète l’imprévisibilité du destin : elle est tantôt vive et agitée, tantôt ambiguë et chaleureuse. Ces contrastes représentent « les incertitudes de la vie qui planent en permanence au-dessus de nos têtes ». La musique permet à Beethoven de « prendre le destin à la gorge », comme il l’écrit dans une lettre de 1800. Un message que reprend Carlos Simon dans But Fate now conquers, qui, symboliquement, se termine de façon triomphale.
Les incertitudes de la vie mentionnées plus haut sont aussi un thème cher au compositeur postromantique allemand Gustav Mahler (1860-1911). Il les aborde toutefois d’une tout autre façon. Dans son œuvre, la relation entre la vie et la mort est centrale. Il la traite de manière impressionnante dans Totenfeier, une œuvre orchestrale composée en 1888, soit la même année que sa Première Symphonie, dite « Titan ». Le titre « Totenfeier » fait référence au drame poétique du même nom du poète polonais Adam Mickiewicz (1798-1855), à propos d’une fête slave et lituanienne en l’honneur des aïeux. Totenfeier est une « énorme marche funèbre symphonique » – comme le dit Mahler lui-même – qu’il retravaille en 1894 (adaptations subtiles des modulations, suppression de différentes mesures, ajout d’instruments à vent et de percussions…) pour en faire l’ouverture de sa Deuxième Symphonie, dite « Résurrection ».
En 1889, la vie de Mahler a en effet radicalement changé. Cette année-là, il subit plusieurs chocs émotionnels, à la suite du décès de ses deux parents et de sa sœur cadette. Il pense sans aucun doute à eux lorsqu’il ajoute une explication programmatique à Totenfeier en 1894 : « Sur la tombe d’un être cher. Son combat, sa souffrance et son désir passent devant les yeux de l’esprit. Des questions se posent : que signifie la mort ? Y a-t-il quelque chose après la mort ? » Dans Totenfeier, les doutes de Mahler face à ces questions sur la conception religieuse de l’au-delà s’expriment dans l’alternance pleine de contrastes entre les rythmes solennels de la marche funèbre et les longues mélodies lyriques. À travers l’œuvre, on perçoit des références au Dies Irae grégorien et aux chorals baroques. Ce n’est finalement qu’en intégrant Totenfeier à sa Deuxième Symphonie que Mahler parvient à une réponse, grâce à sa foi en Dieu : le final de la symphonie exprime l’idée réconfortante de la résurrection.
Le compositeur Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847) a été globalement épargné par les durs revers qu’a essuyés Mahler tout au long de sa vie. Quand il décède subitement en 1847, il n’a que 38 ans et mène une carrière florissante de compositeur et chef d’orchestre. Originaire d’un milieu aisé, Mendelssohn a pu bénéficier d’une formation élargie, qui lui a permis de se familiariser avec ses illustres prédécesseurs de la Renaissance et des périodes baroque et classique. Sa musique s’inspire donc constamment de ses grands modèles, dont il reprend souvent le style et les techniques. C’est par exemple le cas dans les Drei Psalmen op. 78, composés en 1843 et 1844. Il écrit ces œuvres pour le chœur de la cour royale et de la cathédrale de Frédéric-Guillaume IV de Prusse, à Berlin. Warum toben die Heiden, la première partie du recueil, est conçu pour un double chœur a cappella. Le texte du Psalm nr. 2 appelle les peuples à enterrer la hache de guerre et à croire en Dieu pour s’assurer un avenir meilleur. Mendelssohn rend le texte le plus expressif possible au moyen d’une multitude de techniques de composition anciennes, notamment le suivi des accents textuels, l’alternance entre passages antiphoniques (dans lesquels les deux chœurs quasiment indépendants chantent en alternance) et passages solistes, des tutti glorieux (sur les mots « Du bist mein Sohn ») et un sublime canon à quatre parties dans le Gloria final (« Ehre sei dem Vater »).
La composition pour chœur était l’une des plus grandes passions de Mendelssohn. Il est donc surprenant qu’en 1830, à Berlin, il opte pour une symphonie instrumentale et non une œuvre vocale pour célébrer le tricentenaire de la « Confessio Augustana » – la profession de foi protestante présentée à l’empereur Charles Quint en juin 1530. Un choix sans doute inspiré par les symphonies de Beethoven, qui venait de décéder en 1828. Il commence à écrire sa symphonie en 1829, juste après la mort de son idole, mais la maladie l’empêche d’achever l’œuvre à temps. La première a lieu deux ans plus tard, et la symphonie n’est finalement publiée qu’en 1868, soit 21 ans après la disparition du compositeur, sous le nom de Cinquième Symphonie, dite « Réformation ». La symphonie évoque non seulement la foi protestante de Mendelssohn, mais aussi son admiration sans limites pour Johann Sebastian Bach. Ainsi, dans le premier mouvement au caractère cérémoniel, il fait référence au motif protestant de l’« Amen de Dresde » et utilise de nombreuses techniques polyphoniques, tirées de la musique de Bach. Les festivités à Berlin voulaient mettre en lumière l’espoir suscité par la foi. C’est pourquoi le premier et le dernier mouvements sont aussi héroïques et la mélodie du célèbre choral luthérien Ein Feste Burg retentit dans le final. Tout comme dans le psaume Warum toben die Heiden, Mendelssohn montre à travers cette œuvre purement instrumentale à quel point la foi est une « solide forteresse », dans laquelle les croyants se sentent en sécurité et qui leur permet de surmonter l’adversité de manière triomphale et insouciante.
Texte : Waldo Geuns