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Strauss: Don Juan & Ein Heldenleben

notes de programme

EXPLICATIONS : AURÉLIE WALSCHAERT
30.09.2023 FLAGEY


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Le premier poème symphonique de Richard Strauss (1864-1949), Don Juan, fut un succès éclatant qui lui assura une place dans le monde musical international. L'œuvre met en scène le héros, les motifs d'amour et annonce la mort.

Le héros mis en scène par Strauss dans son poème symphonique Ein Heldenleben est débordant d’assurance. Si cette œuvre se lit comme la biographie artistique du compositeur, à y regarder de plus près, se devine sous la couche d’ironie un thème universel : la lutte individuelle (tant intérieure qu’extérieure) pour la liberté dans un monde d’une grande complexité faisant écho à celle de l’esprit humain.


Éclosion musicale

Le premier poème symphonique de Strauss fut Don Juan (1888), d’après un poème de Nikolaus Lenau. Ce poème symphonique fut un succès éclatant. Strauss conquit ainsi une place fixe dans le monde musical international. Le protagoniste est Don Juan, un libre penseur, qui était en principe satisfait avec sa vie de grand séducteur de femmes, mais qui devenait petit à petit plus pessimiste parce qu’il avait assez de ces parties de chasse. Don Juan, le romantique, désirait plus, et luttait avec un conflit intérieur qu’enfin lui aspirait à la mort éternelle.

Cette composition de Strauss commence avec un profil du héros: après une ouverture agitée suivie des motifs sans pause, éclate le motif principal, celui de Don Juan. Dans le mouvement suivant, ce motif héroïque rencontre les trois motifs d’amour – l’amour dévoué, l’amour passionnel et l’amour sentimental. Ces trois motifs se développent à une ligne mélodique continuelle jusqu’au moment où la clarinette annonce la mort.

L’œuvre Don Juan était la preuve que Strauss était capable de se mettre parfaitement dans la peau de ce coureur de jupons. Il était sans aucun doute inspiré par la rencontre avec sa future épouse, pendant la composition de cette oeuvre. Heureusement que Strauss restait toute sa vie fidèle à sa femme !

Une vie de héros

À la fin du XIXe siècle, la musique à programme par excellence qu’est le poème symphonique connaît son apogée grâce à Richard Strauss, qui en compose cinq entre 1888 et 1903. Also sprach Zarathustra est sans doute le plus légendaire d’entre eux, par la grâce de ses impressionnantes mesures d’ouverture. L’avant-dernier de la série est Ein Heldenleben, une œuvre qualifiée par Debussy « de livre d’images, quasi cinématographique ». Ce qui prouve la force expressive du langage figuré de Strauss, au point qu’il affirmait ne pas avoir besoin de programme : « il suffit de savoir qu’il s’agit d’un héros en lutte face à ses ennemis. » Dans la présentation pour la première, il ajoute néanmoins que le thème « ne dépeint pas une figure poétique ou historique, mais plutôt une image libre et générale du grand héroïsme masculin. »

Les premières ébauches de cette œuvre remontent à 1897, alors que Strauss composait encore son poème symphonique précédent, Don Quichote. Il décrit lui-même ces premiers fragments comme « un désir de paix après avoir lutté contre le monde ; un refuge dans la solitude : l’idylle. » Il achève sa composition fin 1898 et la dédie au chef d’orchestre Willem Mengelberg et à l’orchestre du Concertgebouw d’Amsterdam (bien qu’il ait dirigé lui-même la première à Francfort le 3 mars 1899). Ein Heldenleben se compose de six mouvements qui se succèdent sans pause. À l’origine, Strauss avait attribué un titre à chacun des mouvements, pour ensuite les supprimer lors de la publication de la partition. Les mouvements successifs sont : le héros ; les adversaires du héros ; la compagne du héros ; le champ de bataille du héros ; l’œuvre de paix du héros ; le retrait du monde et l’accomplissement.

À l’issue de la première, les réactions de la presse et du public sont partagées. Ceux qui en ont fait une lecture autobiographique trouvent le compositeur prétentieux. Selon Strauss, le héros n’était qu’une projection « que partielle » de sa personne. Dans un courrier à son ami écrivain Romain Rolland, il admet toutefois qu’il ne se trouve pas « moins intéressant que Napoléon. » Mais sous cette assurance se trouve aussi un lien avec la philosophie de Nietzsche et son concept d’Übermensch, une idée qui fascinait Strauss. Il considérait son deuxième poème symphonique Don Quichote et Ein Heldenleben comme des œuvres complémentaires, dont on ne peut avoir une pleine compréhension qu’en les plaçant ensemble. Si l’héroïsme est de nature plutôt fictive dans Don Quichote, il est humain et bien de ce monde dans Ein Heldenleben. Il reflète la lutte éternelle (tant intérieure qu’extérieure) de l’individu, qui cherche la consolation dans l’amour. C’est ainsi que Strauss déclare : « Je ne suis pas un héros. Je n’en ai pas la force. Je ne suis pas fait pour le combat. Je préfère me tenir à l’arrière-plan, en un lieu de quiétude. »