Brussels Philharmonic | matinee, bruckner

matinee: Bruckner 7

L’humain et le surhumain L’humain et le surhumain

« La première fois qu’il revit Ada, ce fut après un concert de l’Orchestre du Concertgebouw. Elle avait été nommée et la saison s’ouvrait avec la Septième de Bruckner. [...] L’Adagio, avec son passage implacable aux violoncelles, le transperça. »
- Harry Mulisch, La découverte du ciel

Double zéro

Anton Bruckner fut un compositeur profondément religieux. Sa foi catholique romaine s’éveilla dès son plus jeune âge au monastère de Saint-Florian, où il résida après la mort prématurée de son père. Cette ferveur ne se manifesterait pas que sur le plan religieux : toute sa vie, il vouerait une grande dévotion aux grands maîtres. Obsédé par Beethoven, il était un adorateur de Wagner.

Ce regard constamment porté vers les hauteurs se manifesta notamment à un moment particulier de sa carrière. En 1855, alors qu’il avait déjà la trentaine bien sonnée, Anton Bruckner reprit des cours de musique. Il avait déjà plusieurs œuvres à succès à son actif, mais il recommença tout depuis le début, à commencer par l’harmonie et le contrepoint. Ses études dureraient six ans, pendant lesquels A. Bruckner ne composerait pratiquement pas. Même après cela, son désir de reconnaissance resta insatisfait lorsqu’en 1861, il se présenta à l’examen d’entrée du Conservatoire de Vienne : le maître de chapelle Johann Herbeck, membre du jury, fit remarquer que « c’est à nous qu’il devrait faire passer l’examen ! »

Même diplômé et reconnu par ses plus grands contemporains, Anton Bruckner resterait toujours incertain quant à ses propres capacités. Il continuerait à se sentir comme un quidam face à Dieu et à ses dieux de la musique. Cela explique en partie pourquoi le compositeur retravaillait constamment ses œuvres, et en particulier ses symphonies ; c’est aussi la raison qui explique pourquoi la numérotation de ses compositions est si complexe, avec « 0 » et même « 00 ».

Symphonie n° 7


La Septième Symphonie est assez exceptionnelle à cet égard. C’est l’une des rares œuvres orchestrales du compositeur qu’il jugea presque immédiatement à la hauteur. À l’exception de quelques ajustements mineurs qu’il apporta avant et après la création, il n’existe qu’une seule version de cette symphonie. C’est par ailleurs l’une des seules symphonies avec lesquelles Anton Bruckner connut un succès presque immédiat, ce qui n’allait pas de soi. En effet, nombre de ses œuvres ne furent jouées pour la première fois que dans les dernières années de la vie du compositeur ; un critique du Berliner Tageblatt alla jusqu’à s’interroger : « Comment se fait-il que vous soyez resté si longtemps un inconnu pour nous ? »

Sans rien ôter à son talent, l’adoration qu’Anton Bruckner éprouvait pour d’autres compositeurs confère à cette symphonie quelque chose de spécial. L’Adagio mondialement célèbre est une élégie à Richard Wagner, qui était mourant au moment de sa composition. Avec quatre tubas wagnériens, les cuivres typiques utilisés par Wagner dans le Ring des Nibelungen, A. Bruckner rend un dernier hommage au compositeur qu’il tenait en si haute estime.

L’ombre de Beethoven planait également au-dessus de l’épaule de Bruckner pendant l’écriture de la Septième Symphonie. Son élève Carl Hrubý rapporta qu’après une représentation de l’Eroica, A. Bruckner commença à réfléchir à son manque de succès.

« Je pense que si Beethoven était encore en vie aujourd’hui et que j’allais le voir, que je lui montrais ma Septième Symphonie et que je lui disais : “Ne pensez-vous pas, Monsieur Beethoven, que la Septième n’est pas aussi mauvaise que certaines personnes le prétendent ?” – ces personnes qui en font un exemple et me présentent comme un idiot –, il me prendrait par la main et me dirait : “Mon cher Bruckner, ne vous inquiétez pas. Cela n’a pas été mieux pour moi, et ces messieurs qui m’utilisent comme bâton pour vous battre ne comprennent toujours pas vraiment mes derniers quatuors, même s’ils prétendent le contraire. »