Brussels Philharmonic | schumann, brahms

Schumann / Brahms 2

notes de programme

explications : Aurélie Walschaert
03.02.2023 FLAGEY

[toutes les notes de programme]

Le compositeur allemand Johannes Brahms (1833-1897) était un homme austère et sensible. Incarnant le sérieux et la tradition, il chérissait l’héritage des générations précédentes de compositeurs. Sa rencontre avec Robert Schumann (1810-1856), autre figure de proue de la musique romantique allemande, a eu un impact considérable sur la carrière et la vie de Brahms. Malgré des différences de style et de points de vue esthétiques, une forte affinité musicale et personnelle s’est développée entre les deux compositeurs, ainsi qu’entre Brahms et l’épouse de Schumann, Clara. En réalité, c’est cette dernière qui a encouragé Brahms à publier sa première symphonie, après une longue lutte de quelque quinze ans. Le succès de cette première symphonie a été suivi quelques mois plus tard par sa deuxième symphonie « pastorale », une œuvre solaire évoquant la splendeur de la nature autrichienne.

Clara a également encouragé son époux à s’aventurer dans le répertoire symphonique. À l’exception de son « année du lied » en 1840, Robert Schumann avait jusqu’alors composé presque exclusivement de la musique pour piano. Il lui faudra deux semaines à peine pour composer son Concerto pour violoncelle en la mineur, opus 129 : le 10 octobre 1850, il écrivait déjà dans son journal qu’il « ressentait l’envie de composer », et le 24 octobre, il notait que son concerto était terminé. En dépit des premières critiques dont l’œuvre a fait l’objet, le concerto de Schumann fait aujourd’hui partie du top 3 des grands concertos romantiques pour violoncelle, au même titre que ceux de Dvořák et Elgar - bien que le concerto pour violoncelle DANCE de la compositrice britannique Anna Clyne (1980), nominée aux Grammy Awards, pourrait bien détrôner l’une de ces trois œuvres...

Konzertstück pour violoncelle

En 1850, Schumann vient d’être nommé directeur musical à Düsseldorf, et ce nouvel élan artistique lui procure de l’énergie pour composer. En trois mois, il achève deux œuvres de grande envergure : sa troisième symphonie « rhénane » et son unique Concerto pour violoncelle. À propos de cette dernière œuvre, son épouse Clara ne cache pas son enthousiasme : « J’ai revu le Concerto pour violoncelle de Robert et cette heure musicale fut un véritable bonheur pour moi. La qualité romantique, la vivacité, la fraîcheur et l’humour, ainsi que le très intéressant entremêlement du violoncelle et de l’orchestre sont d’un grand charme, et de tous les passages mélodiques se dégage une telle euphonie et un sentiment profond ! »

La composition s’ouvre sur une mélodie séduisante au violoncelle, qui se déploie dans le premier mouvement expressif. Le deuxième mouvement, une chanson tendre, est suivi d’un finale ludique et léger avec une cadence à la fin, accompagné exceptionnellement par l’orchestre. Comme Schumann avait horreur des applaudissements entre les différents mouvements, ces derniers sont joués sans pause. Les trois accords d’ouverture servent de matériau thématique pour les passages de transition, agissant comme une « colle » entre les différents mouvements. Fait remarquable pour l’époque, ce concerto comporte peu de passages permettant au violoncelliste de faire preuve de virtuosité. Ce que Schumann argumente comme suit : « Je ne peux pas composer pour des virtuoses, il faut essayer autre chose ».

Schumann a donc préféré l’appellation Konzertstück, indiquant ainsi son désir de s’éloigner des conventions du concerto traditionnel. C’est précisément cette approche atypique qui a fait l’objet de critiques, si bien que la première de l’œuvre n’a eu lieu que quatre ans après sa mort. Le soliste Ludwig Ebert a en effet créé le concerto le 9 juin 1860, accompagné par l’orchestre du Gewandhaus de Leipzig. Bien que le Concerto pour violoncelle soit resté longtemps méconnu et mal aimé, son caractère romantique et distinct en fait aujourd’hui un concerto très apprécié.

Une chaleureuse étreinte

Le concerto pour violoncelle d’Anna Clyne, DANCE, a rencontré un succès immédiat. Outre les éloges de la presse (NRC Music l’a couronné morceau préféré de 2020), son enregistrement en 2019 avec le London Philharmonic Orchestra dirigé par Marin Alsop a généré plus de 6 millions d’écoutes.

Anna Clyne évolue sur de nombreux marchés : en plus de répondre à des commandes pour de grands orchestres tels que le Chicago Symphony Orchestra et l’Orchestre national de l’Île-de-France, elle collabore étroitement avec des chorégraphes et des cinéastes et compose de la musique électroacoustique. DANCE lui a été commandé par le violoncelliste américano-israélien Inbal Segev, qui a assuré à la fois la première et l’enregistrement de l’œuvre en 2019. Anna Clyne a puisé son inspiration dans le poème éponyme de Rumi, écrivain et mystique persan du XIIIe siècle. Chaque verset commence par le mot « danse », et la suite constitue le titre de chacun des cinq mouvements du concerto. On peut lire dans une critique de Gramophone que cela faisait longtemps qu’un journaliste n’avait pas été aussi intensément ému par une œuvre contemporaine.


Une symphonie du bonheur

Après l’une de leurs premières rencontres, Schumann est tellement impressionné par le talent du jeune Brahms qu’il le qualifie de grand successeur de Beethoven. Ce qui crée une forte pression sur les épaules de Brahms : il lui faudra quinze ans avant d’oser se mesurer au génie symphonique de Beethoven. C’est ainsi qu’il attendra la quarantaine pour achever sa Symphonie n° 1 en 1876, enfin libéré de ce joug paralysant.

Moins d’un an plus tard, elle est suivie de sa Symphonie n° 2 en ré majeur, opus 73. Contrairement à la première symphonie à consonance plutôt tragique, celle-ci évoque le printemps. L’explication réside dans les circonstances entourant la composition de l’œuvre. Cet été-là, Brahms était en vacances à Pörtschach am Wörtersee, un petit village du sud de l’Autriche. Un lieu où, selon le compositeur, « les mélodies fleurissent de manière si luxuriante qu’il faut prendre garde à ne pas les piétiner ». Brahms était un homme de tradition, et cette symphonie suit donc également la division habituelle en quatre mouvements. Dans le mouvement d’ouverture, les violoncelles et les basses introduisent un motif qui reviendra sous diverses formes tout au long de la symphonie. L’Adagio non troppo qui suit est lent et expressif, mais après cette lamentation, le ciel s’éclaircit tandis que la valse et la danse s’installent. Le finale, en particulier, rayonne d’optimisme : les bois imitent les sifflements des oiseaux, après quoi la section des cuivres déploie un finale énergique.

Le caractère lyrique et exubérant de la symphonie lui a rapidement valu le surnom de « Pastorale », en référence à la Symphonie n° 6 du même nom de Beethoven. Brahms ne s’en offusque pas : dans une lettre à son éditeur, il ne cache pas qu’il n’a « jamais rien écrit d’aussi mélancolique » et que la partition doit être imprimée « avec un bord noir ». Le succès lui vaut cependant une tournée européenne.