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notes de programme

La naissance de The Lark Ascending est liée à un incident particulier : alors que Vaughan Williams était en vacances sur la côte dans le Kent, une promenade sur les falaises lui inspira petite mélodie. Il l’a immédiatement retranscrite dans son carnet de notes, suscitant la méfiance d’un militaire stationné un peu plus loin, qui l’arrêta, le soupçonnant d’espionnage.

Le 25 décembre 1870, Cosima Wagner est réveillée à sept heures et demie du matin par une douce mélodie : « Quand j’ouvris les yeux, j’entendis un son qui enfla, si bien que je ne pouvais plus croire à un rêve. De la musique retentissait, et quelle musique ! Quand ce fut fini, R. vint jusqu’à moi avec les cinq enfants et déposa entre mes mains sa “Symphonie d’anniversaire”. J’étais en larmes, comme d’ailleurs toute la maisonnée. R. avait installé ses musiciens dans l’escalier, consacrant ainsi Tribschen pour l’éternité ! »

Le programme s’ouvre sur les notes idylliques de la romance de Wagner. Ce qui suit est pure mélancolie. De l’amour, d’un paysage perdu ou de temps meilleurs. Et pour finir, la délivrance ultime : le paradis.

Idylle romantique

Richard Wagner (1813-1883) a composé l’Idylle de Siegfried au cours de ce qu’il décrivit comme l’une des plus heureuses années de sa vie. Le 6 juin 1869 était né son troisième enfant. Un fils, cette fois : Siegfried. L’été suivant, il épousa la mère de son fils, Cosima Liszt, à qui il réserva une surprise particulière pour son anniversaire, le 25 décembre 1870. Il avait composé un « poème symphonique d’anniversaire » et ce jour-là, il convoqua une quinzaine de musiciens de Zurich, qu’il installa silencieusement dans la cage d’escalier. C’est ainsi que Cosima fut réveillée par un véritable orchestre le matin de son anniversaire.

À l’origine, ce poème d’anniversaire s’intitulait : « Tribschener Idyll mit Fidi-Vogelgesang und Orange-Sonnenaufgang, als Symphonischer Geburtstagsgruss. Seiner Cosima dargebracht von Ihrem Richard » (Idylle de Tribschen avec chant d’oiseau de Fidi et lever de soleil orange en présent symphonique d’anniversaire. Pour Cosima, de la part de Richard). Wagner faisait ainsi référence à leur fils Sigfried, surnommé Fidi, ainsi qu’au chant des oiseaux et au joli lever de soleil auquel il avait assisté pendant l’accouchement dans leur maison de campagne de Tribschen. C’est ainsi que l’on peut entendre des chants d’oiseaux et une charmante berceuse dans cette œuvre très accessible. Plus tard, Wagner intégra quelques fragments de cette composition dans l’opéra Siegfried, troisième volet de la tétralogie L’Anneau du Nibelung.

Sonorités cinématographiques

Le compositeur japonais Toru Takemitsu (1830-1996) s’inspire principalement de la nature. Son amour de la musique lui est venu en écoutant un lied de Debussy. La musique occidentale a été interdite au Japon jusqu’à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Mais lorsque le jeune Takemitsu a entendu Parlez-Moi d’Amour de Debussy sur le gramophone d’un officier dans un camp de soldats en 1944, il a immédiatement décidé de devenir musicien. Takemitsu est en grande partie autodidacte : il a appris lui-même à composer en étudiant différents styles musicaux, du jazz à la musique de film et de Debussy à Schönberg, jusqu’à la musique d’avant-garde de Cage. C’est notamment grâce à Stravinsky (qui ne tarissait pas d’éloges à son égard dans la presse) qu’il est devenu le premier compositeur japonais à jouir d’une certaine renommée en Occident. Toru Takemitsu se considère lui-même comme un trait d’union entre les cultures occidentale et japonaise : « Je veux suivre autant la tradition japonaise que l’innovation occidentale ; conserver simultanément ces deux styles musicaux est au cœur de mon processus de composition. Il s’agit là de deux conceptions opposées que je ne souhaite pas harmoniser ; au contraire, je souhaite confronter ces deux styles. Je veux atteindre une sonorité aussi intense que le silence. »

Une grande partie de l’œuvre de Takemitsu consiste en musique de film : il a composé pas moins de cinquante-neuf bandes originales pour le cinéma japonais. Si sa musique débordant de riches accords et de nébuleuses mélodies paraît très poétique, elle dissimule toujours une toile sonore à la construction très précise. À l’instar de Debussy, qu’il érige en exemple, Takemitsu attache beaucoup d’importance au timbre et aux subtils effets sonores. Il décrit lui-même sa musique comme « le déploiement d’une peinture en rouleau ». Les titres de ses œuvres en dévoilent souvent l’atmosphère. Il n’en va pas autrement pour Nosthalgia, qu’il a composée en 1987 pour Yehudi Menuhin et l’Orchestre de chambre écossais en hommage au réalisateur Andrei Tarkovsky, décédé en 1986. À cet effet, il s’est inspiré des longs plans s’étirant lentement dans le film de 1983 dont il tire son titre, où un poète russe du XIXe siècle souffre du mal du pays et se languit de son épouse lors d’un voyage en Italie. La composition pour violon et orchestre de Takemitsu synthétise l’ambiance qui prédomine dans le film : « Après un bref prélude, une mélodie simple et mélancolique introduite par un solo de violon s’impose dans toute l’œuvre. Un ensemble de cordes se détache parfois pour créer une sensation aquatique et brumeuse, qui caractérise les films de Tarkovsky. La musique continue toutefois de baigner dans une douce ambiance élégiaque. »

Le souvenir de temps révolus

Ravel disait jadis de Ralph Vaughan Williams (1872-1958) qu’il était le seul de ses élèves à ne pas tenter de l’imiter. Cela démontre à quel point Vaughan Williams a réussi à développer un langage musical propre en travaillant des influences dérivées de ses maîtres comme de ses centres d’intérêt : de la tradition des chœurs anglais qui lui fut enseignée par Hubert Parry et Charles Villiers Stanford à l’importance de la couleur et du timbre que lui a transmis Ravel jusqu’à sa propre fascination pour la musique folklorique anglaise.

À l’origine, la romance pour violon et orchestre de chambre The Lark Ascending avait été composée en 1914 pour violon et piano, à l’aube de la Première Guerre mondiale. Ralph Vaughan Williams s’était alors inspiré d’un poème de George Meredith sur le chant de l’alouette des champs. La naissance de cette œuvre est liée à un incident particulier : alors que Vaughan Williams était en vacances sur la côte dans le Kent, une promenade sur les falaises lui inspira petite mélodie. Il l’a immédiatement retranscrite dans son carnet de notes, suscitant la méfiance d’un militaire stationné un peu plus loin, qui l’arrêta, le soupçonnant d’espionnage.

The Lark Ascending semble évoquer l’atmosphère féérique de la campagne anglaise, mais son émouvante mélodie cache une immense tristesse. Peu après l’avoir composée, Vaughan Williams fut appelé sous les ordres. Il ne la reprendra qu’après son retour en 1919, se remémorant le passé. L’arrangement pour violon et orchestre résonne donc comme le souvenir de temps meilleurs.

La complainte de l’ibis

Tout comme Takemitsu, le compositeur japonais contemporain Takashi Yoshimatsu (1953) a appris le métier par lui-même en étudiant en détail les symphonies de Sibelius, entre autres. Il se décrit comme un « nouveau lyrique » et n’a pas tardé à faire impression hors du Japon grâce à sa musique libre et accessible mêlant des influences de la culture japonaise, du jazz et du monde du rock. En 1998, il fut compositeur en résidence pour le label Chandos, qui enregistra bon nombre de ses œuvres pour orchestre.

L’oiseau revient comme une image centrale dans la musique de Yoshimatsu, dont une riche série de compositions s’inspirent des sons, des gestes et de l’image des oiseaux. C’est le cas de sa pièce sérielle pour orchestre Threnody for Toki, de 1980. Yoshimatsu exprime dans cette composition son souci de la nature et de l’écologie en choisissant pour symbole le toki, un ibis huppé japonais menacé d’extinction. Cette image se poursuit jusque dans l’instrumentation de l’orchestre : le piano fait office de ventre, tandis que les cordes se déploient sur les côtés comme des ailes et que les contrebasses placées derrière le piano figurent la queue de l’oiseau. Threnody for Toki, qui signifie littéralement « poème de deuil pour l’ibis huppé japonais », s’ouvre sur des accords en crescendo, auxquels s’ajoutent de brèves harmoniques des cordes reflétant le vol de plus en plus pénible de l’oiseau. Suit un intermède jazzy où le piano incarne la complainte de l’ibis. Les violons poussent différents cris pénibles culminant en un climax intense, avant que la musique ne s’éteigne progressivement.

Libération ultime

Richard Strauss (1864-1949) est réputé maître du poème symphonique, un genre puisant ses références en dehors de la musique, notamment dans le monde littéraire et philosophique. Entre 1888 et 1903, il compose pas moins de cinq drames sans paroles, dont Mort et transfiguration, op. 24. Strauss n’avait alors que 25 ans et était gravement malade : « Je voulais composer un poème décrivant les dernières heures d’un homme qui tend vers l’idéal absolu : un artiste sans doute. (…) L’heure de la mort approche, l’âme se détache du corps et découvre dans le cosmos éternel le glorieux accomplissement de l’idéal qu’il n’a jamais pu atteindre ici-bas. » Après une lente introduction, un deuxième mouvement exprime la lutte fébrile de l’homme agonisant. Par la suite, l’homme se remémore sa vie, avant de baisser les armes devant la mort, qui vient lui offrir une libération ultime dans le finale.

Une fois la partition de Strauss achevée, son ami le poète Alexander Ritter en tira un poème. Il fut ajouté à l’œuvre en guise d’introduction. Si l’on en croit la rumeur, Strauss aurait déclaré sur son lit de mort, soixante ans après avoir composé Mort et transfiguration, que mourir se passe exactement comme il l’avait décrit dans son opus 24.

Explications : Aurélie Walschaert