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une relation intime avec un instrument

On dit souvent qu’un musicien doit « inventer son instrument ». Le piano de Glenn Gould n’est pas le piano de Martha Argerich, par exemple. La guitare de David Gilmour n’est pas la guitare de Keith Richards. Selon percussioniste Tom De Cock trouver son style, ou « devenir soi-même », pour un musicien cela se dit : inventer son intrument.

En 2018, Tom approchait tout doucement des 40 ans, et il a senti le besoin d’inventer son instrument: la « micro-percussion ».
« Ce n’est rien de très compliqué, mais c’est tout simplement mon instrument, l’instrument dans lequel se cristallise mon existence de musicien. » : Tom explique.

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Le setup « micro-percussion », Tom l’a trouvé en deux temps : d’abord à partir d’expériences musicales menées avec Gerrit Nulens, son collègue percussionniste chez Ictus, puis avec le chorégraphe Noé Soulier, pour un spectacle de danse qui s’appelait « The Waves ». C’était en 2018. Puis Tom a reçu une bourse FrARTS du fonds FRS-FNRS pour aller jusqu’au bout de mon intuition.

L’idée de la micro-percussion est d’abord pragmatique : Tom en avais plus qu’assez de ces kits de percussion qui remplissent tout un camion. Il voulait pouvoir prendre le train ou l’avion avec son instrument dans une valise, comme un flûtiste !

le bol de ma tante

La deuxième idée est plus idéologique, peut-être. Il s’agit aussi un choix esthétique. L'approche occidentale de la percussion dans la musique contemporaine est généralement associée à la « monumentalité » et peut-être à un certain « bluff visuel » . C'était sans doute même chose dans les années 50 avec la culture de la musique électronique — pensez à ces photos de compositeurs qui prennent la pose devant leurs synthétiseurs-mammouth ! C'est toute une idée de la puissance, de la maîtrise... Dans le domaine des percussions du monde non-occidental, par contre, l'attention est davantage portée sur une relation intime entre l'interprète et l'objet sur lequel il joue. L'interférence personnelle entre le joueur et l'instrument soigneusement choisi est d'une grande importance.

Cette idée d’un rapport intime à l’instrument peut aller assez loin, vous savez. Dans mon setup actuel, par exemple, il y a un « sounding bowl » (un bol musical tibétain) qui est fêlé, mais qui est un cadeau de ma tante. Un instrument fêlé ne sonne pas bien, certes. Mais je me suis rendu compte de ceci : si je le frotte avec une crotale, le son est merveilleux, totalement neuf, et surtout il n’appartient qu’à moi ! Car il y a dans cette sonorité une partie de mon histoire, un « récit » que personne d’autre ne pourrait raconter à ma place.

Les compositeurs de moins de 30 ans comprennent cela en un éclair. Pas besoin de longue explication. Les compositeurs d’aujourd’hui s'intéressent plus que jamais à « faire musique de tout » : allumettes, canards en caoutchouc, bols d'eau, coquillages, cuillères et fourchettes, tout fait farine au moulin. Le champ de la percussion est virtuellement illimité, comme l'avait prédit John Cage : « Les gens peuvent quitter mes concerts en pensant n’avoir entendu que ce qu’ils nomment ‘bruit’, mais ils percevront ensuite une beauté insoupçonnée dans leur vie quotidienne. » Les objets de la vie quotidienne, les objets trouvés, deviennent désormais des instruments de percussion à part entière.

zoomer sur la peau

La troisième idée est acoustique. J’ai beaucoup travaillé comme musicien d’orchestre, et je me rends compte que la distance efface une grande partie de la beauté du son des percussions. Plus particulièrement, on perd tout le registre bas et bas-medium du spectre. Que reste-t-il d’un gong à 30 mètres ? Des harmoniques aigües, essentiellement, un très joli « zuuuuuum », mais tout le body du son, son poids et sa chair, ont disparu. C’est pourquoi j’utilise dans mon set de micro-percussion des micros de proximité qui capturent le son de tout près. Je veux entendre le corps du son : le cinéma nous a appris à apprécier le grain d’une peau, le détail d’un caillou, ou le souffle contenu dans une voix. C’est la même chose dans mon rapport à la percussion.

movement - geste - action

La musique que je joue avec Gerrit Nulens sur le set de micro-percussion a été composée avec le chorégraphe Noé Soulier. C’est d’abord et avant tout une musique de « gestes ». Noé travaille avec des gestes, des actions, des tâches à accomplir — pas avec des « mouvements ». Quand je dis « mouvement », pensez à quelque chose de géométrique, exécuté proprement dans l’espace. Ou pensez à une peinture de l’Egypte antique ! Par exemple : je décris un cercle avec ma main. Quand je dis « action », par contre, c’est tout autre chose : pensez à un sportif qui lance une balle. C’est une autre qualité de mouvement, car il y a une cible. Noé Soulier construit une œuvre chorégraphique fascinante en n'utilisant que quelques actions élémentaires : lancer, frapper, éviter, se préparer. C’est tout, c’est peu de choses si vous voulez, mais cette liste de 4 actions supporte des milliers de variantes.

Dans le travail en studio pour préparer « The Waves », Noé a demandé à ses danseurs de préparer une cinquantaine de « phrases » de 20 secondes, autour de ces actions : frapper, jeter, se préparer, éviter. Après cela, Gerrit, Noé et moi avons composé 50 phrases musicales qui sont la transposition sonore de ces phrases dansées.

Ensuite, Noé a filmé les danseurs en silence, pendant qu’ils improvisaient à partir de ce matériel. Il a extrait de cette improvisation une série de moments, qu’il a montés comme un monteur de cinéma, puis donnés aux danseurs et aux musiciens, comme si c'était partition. Il y a eu tout un voyage en zig-zag entre l’improvisation et l’écriture, entre le collectif et l’individuel. Notre musique provient de cette inoubliable aventure avec nos amis danseurs.

Interview avec Tom De Cock par Jean-Luc Plouvier (mai 2022)