Brussels Philharmonic | mahler

Mahler 7

NOTES DE PROGRAMME

Gustav Mahler Symphonie n° 7 « Lied der Nacht » (1908)

[toutes les notes de programme]

-----

07.02.2026 FLAGEY BRUXELLES
08.02.2026 DE BIJLOKE GENT

Ce qui me fascine le plus, c’est l’architecture unique de cette symphonie. Elle s’ouvre sur un premier mouvement avec cor ténor, où Mahler indique : « Die Natur muss schreien ». Entre le troisième mouvement, presque surréel, qui vous parcourt d’un frisson, et le cinquième, radieux comme une marche au paradis, Mahler tisse deux Nachtmusiken.
Dans le quatrième mouvement, la guitare et la mandoline – apparaissant pour la toute première fois dans une symphonie de l’histoire de la musique – déploient leurs ailes et flottent avec le thème charmant.
En entendant cette symphonie enfant, je me souviens d’avoir été profondément ému par le génie musical de Mahler.
Kazushi Ono

Symphonie n° 7

À l’été 1904, Mahler composa deux pièces symphoniques qui deviendront les mouvements de ‘Nachtmusik’ de sa Symphonie n° 7. L’été suivant, il écrivit les premier, troisième et cinquième mouvements de l’œuvre. L’hiver venu, selon son habitude, il révisa et orchestra la partition élaborée au cours des deux étés précédents.

La Symphonie n° 7 de Mahler demeure l’une de ses œuvres les moins connues. Contrairement à la plupart de ses autres symphonies, la Septième ne s’appuie sur aucun programme précis décrivant un parcours autobiographique ou philosophique se déployant d’un mouvement à l’autre. Lorsque Arnold Schoenberg entendit l’œuvre pour la première fois en 1909, il adressa au compositeur une lettre saluant cette nouvelle orientation : « J’ai ressenti moins qu’auparavant cette intensité sensationnelle qui excite et fouette l’auditeur, qui, en un mot, le met hors d’équilibre sans rien lui offrir en retour. »

Schoenberg approuvait explicitement le renoncement de Mahler aux éléments narratifs et à l’hyperémotivité du romantisme tardif. Quelques lignes plus loin, il précise sa pensée : « Je vous range parmi les compositeurs classiques — mais comme un pionnier. Il existe une différence nette lorsque l’on est préservé de toute excitation superflue et que l’on se trouve dans un état de calme et de tranquillité : c’est là que la beauté peut véritablement être éprouvée. »

S’il est difficile d’attribuer à la symphonie un sens qui dépasserait ses mélodies, ses rythmes, ses harmonies et ses formes constitutives, les auditeurs familiers des autres symphonies de Mahler reconnaîtront sans doute de nombreux passages faisant écho à des œuvres antérieures.

premier mouvement

La Symphonie n° 7 se compose de cinq mouvements. Les deux mouvements extrêmes sont de dimensions plus vastes : le premier adopte une forme de sonate libre, le finale celle d’un rondo libre. Les trois mouvements centraux jouent le rôle de pièces symphoniques de caractère ou d’atmosphère. L’œuvre renoue également avec le principe de la tonalité progressive cher aux compositions antérieures de Mahler, selon lequel la symphonie commence dans une tonalité et s’achève dans une autre. Ici, l’atmosphère globale évolue de l’obscurité vers la lumière, du mineur vers le majeur.

Le traitement de l’orchestre, toujours au cœur du style de Mahler, mérite ici une attention particulière. Dans le premier mouvement, il met en avant le cor ténor, instrument rarement rencontré dans le cadre symphonique traditionnel. Il apporte une couleur résonnante et boisée, et suggère un lien avec la musique de posthorn de la Troisième symphonie. Dans le quatrième mouvement, Mahler fait intervenir une mandoline et une guitare.

Le premier mouvement s’ouvre sur une longue introduction lente. La vaste mélodie anguleuse des cuivres, soutenue par des accords de marche funèbre, circule entre le cor ténor et les autres bois et cuivres. Elle progresse par élans soigneusement mesurés, conférant à l’ensemble le caractère d’une procession solennelle.

Cette introduction révèle également un degré élevé d’expérimentation harmonique. La symphonie débute par un accord ambigu qui ne fournit aucun point d’orientation clair à l’auditeur. Tout au long du mouvement, les sons s’entrechoquent, issus de la superposition d’intervalles dissonants.

Peut-être plus que dans toute autre symphonie de Mahler, l’environnement harmonique se situe ici à l’équilibre entre deux époques historiques. Tantôt la musique procède de la palette chromatique mais tonale des compositeurs de la fin du XIXe siècle tels que Wagner et Richard Strauss ; tantôt elle adopte le vocabulaire abstrait et atonal des premiers maîtres de la modernité, comme Schoenberg, Berg et Webern.

Entendez-vous cela ? C’est la polyphonie, et c’est là son origine. Enfant, dans les bois autour d’Iglau, ces sons me marquaient profondément et se gravaient dans ma mémoire. Qu’ils prennent la forme d’un tumulte sonore, du chant des oiseaux, du vent, des vagues ou du feu importe peu. C’est ainsi que naissent les thèmes - issus de sources multiples - chacun avec son propre rythme et sa propre mélodie. Le rôle de l’artiste est de les réunir en un ensemble cohérent.

Gustav Mahler

À la fin de l’introduction, Mahler porte la musique à un point d’ébullition sonore. Au cœur d’une masse orchestrale chatoyante, les instruments graves martèlent un rythme palpitant, tandis que les cors lancent une mélodie agressive annonçant le thème à venir. La section principale du mouvement (Allegro risoluto) commence sans pause. Sa mélodie présente un profil incisif, vivement ciselé, qui rappelle le thème initial de la Symphonie n° 6 de Mahler. Les accords d’accompagnement s’élancent au galop. Mahler introduit ensuite aux violons un thème lyrique qui conserve néanmoins l’énergie soutenue de la musique environnante.

Comparé à d’autres symphonies de Mahler, ce premier mouvement comporte relativement peu de brusques changements d’humeur. On y trouve toutefois un interlude d’un calme presque magique, où scintillent les aigus des cordes, ponctués de fanfares de trompettes semblant venir de loin.

Les textures foisonnantes de ce mouvement révèlent un compositeur qui a abandonné son ancienne habitude de composer au piano et transformé son langage, passant de mélodies soutenues par des accords à un entrelacs complexe de lignes indépendantes dans un contrepoint serré. Mahler tirait cette approche de son amour profond pour la multiplicité de la nature. Lors d’une promenade avec des amis, il fut soudain assailli par un enchevêtrement de sons provenant d’une fête foraine ambulante et s’exclama :

« Entendez-vous cela ? C’est la polyphonie, et c’est là son origine. Enfant, dans les bois autour d’Iglau, ces sons me marquaient profondément et se gravaient dans ma mémoire. Qu’ils prennent la forme d’un tumulte sonore, du chant des oiseaux, du vent, des vagues ou du feu importe peu. C’est ainsi que naissent les thèmes - issus de sources multiples - chacun avec son propre rythme et sa propre mélodie. Le rôle de l’artiste est de les réunir en un ensemble cohérent. »

Nachtmusik I

Le deuxième mouvement, premier des deux épisodes de ‘Nachtmusik’, adopte librement une structure A-B-A-B-A. La musique des sections ‘A’ débute avec un ensemble de chambre intime. Après un bref duo de signaux de chasse confié à deux cors, la musique cède la place à des arpèges hypnotiques aux hautbois, clarinettes, flûtes et bassons. Le passage évolue rapidement d’une écriture mélodique vers une masse sonore stratifiée. Une fois cette masse dissoute, Mahler développe plus longuement le motif de chasse dans un duo librement imitatif pour cors et violoncelles. Sous ce duo, les violons font entendre par intermittence des accords râpeux joués avec le bois de l’archet.

Les sections ‘B’ présentent deux idées principales. La première est un thème de cordes d’un lyrisme exquis, soutenu par des accords vigoureux dans un style oom-pah-pah. La seconde est une marche rustique et énergique qui s’élance dans les bois. Cette musique renvoie à la marche de fanfare exubérante du premier mouvement de la Troisième symphonie de Mahler. À chaque retour, ces sections sont transformées par de nouvelles orchestrations, des contrepoints inédits et une fragmentation thématique.

Nachtmusik II

Le quatrième mouvement, deuxième pièce de ‘Nachtmusik’, compte parmi les pages les plus enchanteresses de tout l’œuvre symphonique de Mahler. Il prend les allures d’une sérénade méditerranéenne, suggérées par l’indication de tempo Andante amoroso et par la présence de la mandoline et de la guitare, instruments traditionnellement associés à la sérénade. Après une brève phrase initiale pour violon solo, la musique se poursuit avec des figures fluides et murmureuses à la clarinette, rappelant que Mahler trouvait souvent l’inspiration en ramant sur les lacs alpins d’Autriche. Sous les clarinettes, la harpe déroule une basse en accords brisés, évoquant l’Adagietto de la Symphonie n° 5.

Tout au long du mouvement, Mahler façonne un univers sonore séduisant et intime en se limitant presque exclusivement à des dimensions de musique de chambre. La composition de cet orchestre de chambre évolue toutefois sans cesse, offrant à l’auditeur une succession ininterrompue de couleurs nouvelles. La musique passe d’une mosaïque instrumentale frappante à une autre, dans des agencements qui se répètent rarement à l’identique.

La symphonie s’achève sur un rondo triomphal et éclatant en ut majeur. La musique embrasse l’air vif de la nature avec une vitalité immense, parfois même débridée.

Steven Johnson

consultez les notes de programme de Steven Johnson sur laphil.com